Tous les chemins mènent au Pôle

COVER2Comment se repérer dans l’espace sans mains pour toucher, sans yeux pour voir ? C’est le problème auquel sont confrontées nos cellules, lorsqu’elles doivent s’organiser, se déplacer ou se déformer pour remplir leurs fonctions. Une véritable boussole interne joue ce rôle fondamental ; lorsqu’elle perd le nord, la cellule acquiert des caractéristiques cancéreuses. Comment contrôle t’elle sa boussolle ?

Une boussole ? Mais pour quoi faire ?

Afin d’assurer la cohérence des organes multicellulaires, les cellules doivent respecter une certaine organisation. Par exemple les cellules des couches d’épithélium qui recouvrent les organes possèdent un haut et un bas, de forme et composition différentes. Elles sont dites polarisées ; cette polarité unifie leur sens de croissance, régule leur adhérence et assure l’intégrité du tissu. Sans elle, c’est l’anarchie: les cellules se multiplient dans tous les sens, s’enchevêtrent, sortent de l’épithélium… ce qui contribue à la formation et à la propagation des certains cancers.

La polarité est aussi cruciale lors de la division cellulaire (appelée mitose, représentée sur la figure ci-dessus). La boussole organise alors l’intérieur de la cellule, afin que chaque cellule fille hérite d’une copie identique du patrimoine génétique, ainsi conservé. Si la cellule perd le nord ? Alors des bouts de chromosomes peuvent se perdre en chemin ; il en résulte des cellules génétiquement anormales, potentiellement cancéreuses. Dévoiler les mystères de la boussole cellulaire est donc primordial à la recherche en cancérologie.

Cdc42, architecte de la polarité

La plupart des cellules ont un squelette dynamique, sans cesse assemblé et démantelé pour leur permettre de changer de forme. Mais qui construit ce cytosquelette ? Des études ont montré qu’une protéine, nommée Cdc42 pour Cell division control protein 42, est impliquée dans la majorité des processus demandant un changement de forme de la cellule.

Selon la tâche à accomplir, l’architecte Cdc42 se place en un point précis de la cellule, entraînant dans son sillage d’autres protéines « ouvrières » qui vont façonner le squelette.

La mitose par exemple est initiée par l’accumulation de Cdc42 sur une région étroite de la surface cellulaire1. Les transformations qui suivent se font le long d’un axe principal dirigé vers ce pôle. On comprend alors pourquoi certaines protéines, qui dopent l’activité de Cdc42 et ainsi a priori la division, favorisent la cancérisation. Faut il bannir Cdc42 des cellules ? Bien au contraire ! Souvenez vous: sans elle, pas de polarité… et une montagne de soucis. La cellule doit cependant contrôler finement l’activité de Cdc42 pour maîtriser sa boussole. Ni trop ni trop peu, mais un juste milieu… Il en va de même pour les chercheurs, mis au défi de réaliser des études quantitatives pour comprendre la polarité.

Les levures au secours de la recherche

Dans cette optique, une équipe de chercheurs de l’IECB à Bordeaux, soutenue par la fondation ARC pour la recherche sur le cancer, a adopté une approche interdisciplinaire couplant génétique, microscopie haute résolution, et simulations informatiques. Son but ? Expliquer quantitativement comment une cellule crée et stabilise son pôle en dépit de l’agitation moléculaire qui règne en son sein. Son outil ? La levure bourgeonnante. Version archaïque, simplifiée de nos propres cellules, elle partage avec elles de nombreux processus, conservés par l’évolution.

Cette levure se divise asymétriquement (voir figure du haut): la cellule fille bourgeonne depuis le pôle, nourrie par des vésicules d’exocytose circulant le long de câbles d’actine (représentées en bleu sur la figure). Pourquoi ce dépôt de matière se limite t’il au pôle ? Dans une cellule non polarisée, il est réparti sur toute la surface. Mais l’accumulation de Cdc42 stimule la croissance des câbles, attirant ainsi les vésicules et leur chargement vers le pôle. Par quel mécanisme Cdc42 échappe t’elle à l’agitation cellulaire pour se concentrer sur un seul site ? Les chercheurs ont eu la surprise d’observer également la polarisation des vésicules d’endocytose (représentées en rouge sur la figure). Ces vésicules, qui pourtant soustraient du matériel à la surface, encerclent le pôle riche en exocytose et en Cdc42. Pourquoi retirer du matériel qui pourrait alimenter le bourgeon ?

figure2Figure 2: répartition des molécules de Cdc42 à la surface de la cellule dans l’état polarisé, telle que prévue par le modèle. Le code couleur indique la concentration locale en protéine Cdc42, depuis une quasi absence (gris) à une forte concentration (violet).  Les flèches indiquent les amas de Cdc42.

S’opposer pour une meilleure synergie

En l’absence de trafic vésiculaire, Cdc42 aurait une tendance naturelle à former des amas larges et multiples (Figure 2, gauche), plutôt qu’un pôle unique et étroit. Des défauts de polarité similaires surviennent dans des levures mutantes dont l’endocytose échoue à circonscrire le pôle. Ces défauts sont critiques pour la cellule, qui doit former un unique bourgeon avec qui partager son ADN.

En simulant les interactions entre protéines impliquées (Figure 3), ces « explorateurs de la polarité 3 » ont montré que le trafic vésiculaire a un rôle essentiel dans les cellules saines. En encerclant les amas formés par Cdc42, l’endocytose leur retire des protéines. Elle dissipe ainsi les amas les plus faibles, et recycle les protéines qui s’éloignent du plus fort pour que l’exocytose puisse les y redéposer ! Au bout de quelques minutes un seul pôle subsiste. Il est très focalisé, ce qui aide à former un joli bourgeon (Figure 2, droite).

L’observation d’une telle complémentarité entre le yin et le yang de la polarité est prometteuse:

« L’antagonisme entre deux processus est fréquent en biologie cellulaire. Le fait qu’ils puissent collaborer à une même fonction permet d’envisager de corriger les défauts de l’un en ciblant l’autre » estime McCusker. Compenser des défauts d’exocytose en altérant l’endocytose par exemple ?

FIGURE 2 COLORlowdefFigure 3: Schéma du modèle utilisé pour simuler la polarisation de la cellule par ordinateur. Les protéines qui s’échappent du pôle (flèches noires) sont interceptées par les vésicules d’endocytose (les autobus), ramenées au cœur de la cellule, d’où elle peuvent être redéposées au pôle par exocytose (le train).

Et maintenant ?

Des expériences sont en cours pour tester cette idée. Au-delà, l’association entre endo- et exocytose pourrait réguler la croissance du bourgeon et assurer la coordination entre croissance et division cellulaire. La perspective de découvrir comment la cellule mère contrôle la « bonne » formation de sa progéniture est très excitante pour les chercheurs, qui pensent ainsi identifier de nouvelles protéines cibles pour les thérapies anticancéreuses.

Quelques lectures pour approfondir:

1    S. Etienne-Manneville, Med. Sci. (Paris) , Vol. 19 (2003)

2    M. Jose et al., J. Cell Biol., Vol. 200 (2013)

3      M. Leslie, interview McCusker, In Focus JCB 02/2013

Publicité

Une réflexion sur “Tous les chemins mènent au Pôle

  1. Pingback: La merveilleuse ingéniosité des bactéries | Tell me your Science

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s